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Rapport d'étonnement

Les gens ne sourient pas. Vraiment pas. Ils marchent les sourcils froncés et l’air énervé. Comme si leur vie entière était un fardeau, ou une punition. Parfois quand j’arrive à croiser un regard et à balancer un sourire, voire un bonjour, le visage s’éclaire. Une lueur fugace traverse leur regard, un soupçon d’incrédulité, d’inquiétude parfois, et puis le sourire vient, la plupart du temps. Une vieille dame m’a même embrassée, parce qu’elle m’a confondu du coup avec quelqu’un d’autre, une amie qu’elle connaissait. C’est drôle, ici on ne dit pas bonjour aux gens qu’on ne connaît pas.


Les journées commencent tard. Et c’est bien pire le week-end. A 8 heures il n’y a encore personne. Les rues sont désertes, les magasins fermés. Pourtant il fait jour aussi dès 6 heures. Mais rien n’a encore démarré, j’ai l’impression d’être la seule à être réveillée.

Pas un coq ne chante, les chiens sont muets. Tout parait du coup moins vivant, comme pétrifié.


Il est compliqué de voir les gens. Moi qui pleurnichais après mes amis laissés au loin, je me rends compte que la distance abolie ne me les rend pas forcément plus proches. Il faut prendre rendez-vous dans les agendas. Pour dans des semaines parfois. On ne s’invite pas à l’improviste, on ne passe pas chez les gens.

Je me souviens que j’avais déjà remarqué tout ça au retour des îles avec mes parents : cette vie sociale si riche, spontanée et fluide sous les tropiques devenait codifiée, contrainte et artificielle. Je suis déçue, je me sens finalement presque plus seule ici sans Jérôme, Annie, Silvia. Mes enfants vivent leur vie, avec eux aussi il faut que je prenne rendez-vous !


Il y a trop de choses dans les magasins et il y a trop de magasins. Après le Super U de la baie de Cook, l’hypermarché Leclerc de Paridis m’a fait tourner la tête. Des rayons qui débordent de tas de trucs en multiples exemplaires, un choix phénoménal, une offre gargantuesque, un temple tout entier dédié à la surconsommation. Ai-je vraiment besoin de tout ça ? Bien sûr je suis contente de retrouver des yogourts et du vin abordable, mais je n’ai pas besoin de davantage, cet étalage de biens est un peu obscène. Et finalement tentant. Il faut que je résiste, parce que j’ai très bien vécu sans pendant un an. Less is More, remember !


Les gens ne savent pas faire la fête, les danses et les chants (c’était la fête de la musique hier soir) font un peu pitié. Rien à voir avec le rythme, l’enthousiasme et la fougue des bringueurs même improvisés. À Tahiti on aime chanter et danser, et ça se sent ! Ici on se dandine poliment sur fond de pipeau timide. La misère.


Le champ des possibles - Dieu que je déteste d’habitude cette expression - est infiniment vaste. A Moorea il y avait 3 plages, une vingtaine de magasins et 10 restos, plus quelques balades à faire dans la vallée d’Opunohu. Ici, et bien je ne sais plus où donner de la tête. Tout est possible, tout reste à découvrir, explorer, visiter ou re-visiter. Tellement d’endroits où aller, tellement de possibilités ! Je ne pensais pas être affectée par les limites imposées de « l’île » parce que je sais m’occuper, et n’ai pas peur de m’ennuyer - et que j’aime les cocotiers ;). Mais c’est le côté « nouveauté », « truc à explorer » qui m’a fait défaut au bout de quelque temps. Le changement c’est mon moteur, j’ai besoin que ça bouge, de voir du neuf. Alors là j’ai l’impression de respirer de nouveau, à pleins poumons, les envies et les projets affluent. Reste à savoir si je vais conserver l’envie de partir seule à l’aventure, ou si mon désir d’ailleurs va se ratatiner à la perspective de ne pas être accompagnée.


Il y a aussi des fleurs et de la belle verdure. Je crois que je ne les appréciais pas autant avant. Cette année en Polynésie m’a rapprochée de la nature, je suis plus sensible aux couleurs, je regarde les massifs et y vois des espèces que je ne connaissais pas, et qui sont pourtant bien jolies ma foi.


Et puis il y a aussi les terrasses de café, où on peut se poser, pour regarder autour le monde s’agiter. Ça aussi ça m’avait grave manqué.




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